KOUKI (Texte de Anne Dutheil)

Maman s'apprête à refermer la porte de la chambre. De son petit lit, Pierre ne verra bientôt plus la lumière du couloir. Pierre ferme les yeux très fort en serrant contre lui Petsy l'ourson. Ca y est, il fait tout sombre. Les gros rideaux de velours sont tirés, masquant ainsi toute éventuelle clarté lunaire. Quand on serre les paupières ainsi, on a de drôles de couleurs qui apparaissent dans le fond des yeux. Pierre ne sait pas très bien où se trouve le fond des yeux. Parfois, quand il se voit dans la glace de la salle de bains, il écarquille ses grands yeux bruns, il tire sur ses paupières et ses joues pour voir se dessiner les rondeurs des deux globes blancs. Mais ça lui fait un peu peur, alors il n'insiste pas. Pierre aime beaucoup son petit ours, mais il est bien triste lorsque Maman quitte la chambre et va rejoindre Papa jusqu'à demain. Car il sait qu'une fois qu'il aura serré fort les paupières et l'ours Petsy, il rouvrira les yeux et aura peur. D'abord un peu seulement, puis son coeur se mettra à battre de plus en plus vite au fur et à mesure qu'il pourra distinguer les contours obscurs des objets de la chambre. Cela commence par le pupitre d'écolier avec le petit banc qui y est attaché. Pierre a vaguement l'impression que ce meuble lui reproche quelque chose. Pour éviter de comprendre la nature de ce reproche, Pierre déplace son regard vers la petite table que Papa a installée exprès pour y poser "le premier ordinateur de son fils"-car Papa est sûr que Pierre aura beaucoup d'ordinateurs plus tard.-C'était le cadeau de Noël de Pierre cette année-là...